Option Affaires publiques et innovation

Liliana Doganova et Brice Laurent ont créé une option intitulée « Affaires publiques et innovation » (API) dans le cadre de la formation des élèves ingénieurs de l’Ecole des mines, qui répond à la fois aux enjeux actuels de l’innovation et à une demande accrue en ingénieurs formés aux affaires publiques. Interview.

L’option à l’école des mines ?

Brice Laurent : À l’école des mines, l’option est une partie importante de la formation des élèves ingénieurs parce qu’elle détermine le cadrage pédagogique de la fin de leur scolarité et le travail de fin d’études. La formation débute en 2ème année par un stage de terrain qui prend la forme d’un voyage d’étude. Elle se poursuit en 3ème année par une session intensive de cours, puis un stage d’option de quatre mois minimum sur lequel se fonde le travail de fin d’études.

Le diplôme d’ingénieur civil des mines est un diplôme généraliste. L’option offre néanmoins une spécialité. Celle-ci ne détermine pas l’ensemble de la carrière, ni même le premier poste des diplômés, c’est aux élèves ingénieurs d’utiliser leur option comme ils le souhaitent.

L’option « Affaires publiques et innovation » ?

Brice Laurent : L’option « Affaires publiques et innovation » est une option de sciences sociales centrée sur les dimensions politiques de l’innovation scientifique, technique et industrielle. Par politique nous entendons ce qui a trait à la réglementation, au droit, à l’encadrement du développement scientifique et technique ; ce qui a trait aussi à la prise de décision collective et à la concertation avec l’ensemble des parties prenantes, y compris dans des situations où l’idenOption3tification même des parties prenantes n’est pas évidente. L’option s’intéresse également à la valorisation économique et à la fixation des prix, avec l’objectif d’examiner des situations où ces processus ne sont pas donnés.

Liliana Doganova : La partie pédagogique de l’option s’appuie très fortement sur nos travaux de recherche, et plus généralement sur les travaux du CSI. L’originalité de la formation que nous proposons est double. Il n’y a pas à notre connaissance d’autre formation aux affaires publiques en France qui s’adresse spécifiquement aux ingénieurs en se centrant sur les problèmes scientifiques et techniques. La spécificité de notre formation est par ailleurs d’aborder ces questions en mobilisant les Sciences & Technology Studies et les recherches développées au CSI sur la démocratie technique et sur la construction des marchés – envisagée non pas comme allant de soi mais comme une activité sociale qui pose des questions politiques.

Brice Laurent : Les activités de l’option ont été conçues en articulant la partie pédagogique à des activités de recherche. Pour être plus concret, le voyage d’étude organisé en février cette année s’articulait avec la réalisation d’un projet de recherche exploratoire sur la transformation de la réglementation minière en Nouvelle Calédonie. Ce voyage en Nouvelle Calédonie avait évidemment un objectif pédagogique, mais il était d’autant plus intéressant qu’il s’agissait de réaliser un travail d’enquête collective avec les collègues anthropologues de l’Institut pour la recherche et le développement (IRD), dans lequel les optionnaires ont été impliqués.

Une pédagogie par la recherche ?

Liliana Doganova : Les élèves ont participé à la préparation et à la réalisation des entretiens et à la formulation des questions de recherche. Le rapport issu de ce travail, co-rédigé avec les optionnaires, a donné lieu à une première présentation devant des personnes qui connaissent bien les problématiques de la régulation minière et de la Nouvelle Calédonie (Madeleine Akrich, qui dirige une thèse sur ce sujet, Anne Duthilleul, chargée de mission sur les grands projets miniers Outre-Mer, et Romain Soubeyran, directeur de Mines ParisTech). Dans les années à venir nous allons maintenir cette liaison forte entre activité de recherche et activité pédagogique. C’est une spécificité de l’option.

Brice Laurent: Dans les sujets traités dans l’option – à l’occasion du voyage d’étude, dans le programme de cours ou les sujets mêmes du stage d’option – la question de la construction des marchés est dans la plupart des cas difficilement séparable de la question politique : qui prend des décisions, avec qui se met-on d’accord, quelles sont les formes de la légitimité démocratique ? Cette conjonction cadre avec les nouvelles questions que nous nous posons au CSI : notre objectif est en effet d’articuler la sociologie des marchés à la sociologie de la démocratie technique, parce qu’aujourd’hui c’est une question cruciale qui se pose dans un grand nombre de projets. L’intérêt qu’offre l’option est de travailler sur un ensemble très riche de sujets qui donne matière à une réflexion de recherche en sciences sociales et pose des questions théoriques assez fortes. En même temps, le travail porte sur des problématiques extrêmement concrètes. Des problèmes pratiques se posent et les acteurs que les optionnaires rencontrent, pouvoirs publics, industriels ou ONG, s’efforcent des les traiter. Les problèmes de la valorisation et de la réglementation de l’exploitation minière en Nouvelle Calédonie sont des vrais problèmes concrets.

L’expérience de la Nouvelle Calédonie ?

Liliana Doganova : Pour le voyage d’étude, l’enjeu est de trouver des sites où on peut découvrir ce qu’est l’enquête de terrain en sciences sociales et voir émerger à partir du terrain les questions politiques auxquelles s’intéresse notre option. Dans le cas calédonien c’est assez évident. Le territoire est relativement petit et en deux semaines nous avons pu voir un ensemble d’acteurs très différents : représentants des pouvoirs publics et de l’administration, acteurs industriels, associations environnementales, autorités couOption1tumières. Retravailler les questions en ayant le point de vue de chacun des acteurs permet de se rendre compte de la complexité et du caractère politique de ces questions de manière presque évidente, c’est souvent plus efficace qu’une lecture de texte.

Brice Laurent : C’est un peu un lieu commun de dire ça, mais le cas calédonien est vraiment un laboratoire. Un lieu fermé de petite taille, où toutes les questions sont concentrées, mais portent sur des enjeux énormes du fait l’ampleur des projets industriels, qui associent mines et usines et font partie des quelques plus gros projets industriels au monde en termes d’investissement financier. Les modèles économiques sont très différents (transformer ou pas le minerai sur place, exploiter des minerais à différentes teneur, etc.). L’expertise technique elle-même est très discutée.

Liliana Doganova : Il ne s’agit pas de faire des optionnaires des spécialistes des activités minières ou de la valorisation du nickel, mais de les aider à comprendre – et c’est un déplacement qui n’est pas simple à opérer – que les choix techniques ou économiques de toute activité industrielle ou de développement posent de façon générale des questions politiques. Le voyage d’étude est une bonne introduction.

Une formation interdisciplinaire et de terrain

Liliana Doganova : Le programme de formation aux sciences sociales dispensé en début de 3ème année repose sur quatre piliers : les Sciences & Technology Studies, les sciences politiques, notamment les questions de représentation politique, la sociologie économique, en particulier sous l’angle la construction du marché, et enfin les questions réglementaires et juridiques, sur lesquelles nous travaillons en collaboration avec le Centre de recherche sur les risques et les crises (CRC) de l’école des mines. Le programme de cours intensif, pendant tout le mois d’octobre, comprOption2end la lecture et la discussion de textes de sciences sociales, des travaux sur des cas concrets, des interventions d’acteurs politiques, industriels, associatifs ou académiques. Ces cours nous permettent de commencer à préparer avec les étudiants le sujet sur lequel ils travailleront pendant le stage d’option.

Brice Laurent: L’avantage de l’option à l’école des mines est qu’elle concerne un petit nombre d’étudiants, il est donc possible de s’adapter une variété de profils d’étudiants et de demandes de nos partenaires. Les sujets sont déterminés par l’option, mais avec un gradient suivant les types de stages prévus et les terrains. Certains stages se prêtent davantage à un travail opérationnel dans l’entreprise, et notre apport en tant que professeur d’option consistera à accompagner la réflexion du stagiaire sur les questions qu’il examine, à les mettre en perspective, à les comparer à d’autres sujets. Dans d’autres cas, les stages apporteront des contributions aux travaux du partenaire, et les questions que le stagiaire développera seront plus proches de celles de la recherche en sciences sociales.

Ces stages permettent de confronter les étudiants à une situation réelle qu’ils vont avoir à analyser dans le détail, débouchant à la fois sur une production écrite et une présentation orale. Nous aimerions d’ailleurs être un peu innovants dans la forme de rendu des travaux de fin d’étude. Evidemment le rapport est une forme possible, mais il peut y avoir un format article assez court, plutôt le format policy paper, par exemple, voire une publication.

Comment valoriser l’option sur le plan professionnel ?

Brice Laurent: La façon qu’ont les élèves de valoriser leur option, quelle qu’elle soit, est très variable. Dans leurs CV et leurs entretiens professionnels, certains élèves mettent l’accent sur ce qu’ils ont appris en option et en font une véritable spécialité ; pour d’autres, l’option est plutôt une espèce de coloration, de l’ordre de la découverte d’un nouveau secteur, qu’ils n’associent pas à leur début de carrière.

Tout le monde sait qu’un ingénieur formé à l’école des mines sait parfaitement calculer, qu’il est très fort en sciences, qu’il a toutes les compétences techniques nécessaires, mais il peut faire une vraie différence s’il peut mettre en avant une capacité d’analyse des questions politiques. Aujourd’hui, n’importe quel projet industriel d’une ampleur minimale doit faire face de nombreuses incertitudes en terme de discussion politique (avec qui discuter, qui sont les parties prenantes, comment gérer les situations de controverse) ou en terme d’évolution réglementaire. Les pouvoirs publics font face à un nombre croissant de situations où il leur faut gérer des cas d’incertitude concernant, par exemple, des risques sanitaires ou l’évolution des marchés. Les compétences acquises dans le cadre de l’option « Affaires publiques et innovation » peuvent donc répondre à une demande des directions de la stratégie ou des affaires réglementaires dans les entreprises, ou des cabinets de conseil, mais aussi être valorisées dans la conduite opérationnelle de projets.

Quels développements futurs envisagez-vous pour l’option ?

Brice Laurent: Nous aimerions que le voyage d’étude et les stages puissent se tenir dans des lieux qui ne sont traditionnellement pas investis par les élèves de l’école des mines. Par exemple les ONG. Ces organisations, souvent multinationales, recherchent les compétences des ingénieurs. Il y a une demande des ingénieurs pour y travailler. Nous pensons également aux agences internationales ou nationales, comme l’Agence française de développement (AFD), par exemple.

Nous avons déjà des partenariats avec un ensemble d’institutions en France et à l’étranger qui pourront être développés dans le futur, notamment dans le cadre de Paris Sciences et Lettres (PSL). Par ailleurs, nouer des partenariats avec les institutions françaises qui offrent des formations aux affaires publiques nous paraît intéressant, en particulier pour les optionnaires qui souhaiteraient y préparer un master. Avec nos partenaires à l’étranger, l’objectif serait plutôt d’accueillir ou de co-encadrer des stages.

Photo #1 : Visite d’usine, Province Nord. Vavouto, Nouvelle-Calédonie, 13 février 2015. Crédit photo : Brice Laurent.
Photo #2 : Visite de mine, Province Sud, commune de Yaté. Yaté, Nouvelle-Calédonie, 12 février 2015. Crédit photo : Vale Nouvelle-Calédonie
Photo #3 : Visite de mine, Province Sud, commune de Saint-Louis. Saint-Louis, Nouvelle-Calédonie, 20 février 2015. Crédit photo : Brice Laurent.

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